L’hypertension artérielle (Hta) est une maladie chronique grave, responsable de nombreux décès. Souvent qualifiée de « tueur silencieux », elle entraîne des complications sévères chez ceux qui la négligent. À l’occasion de la Journée mondiale de l’Hta, célébrée le 17 mai dernier, la rédaction du média Le Grand Regard s’est rapproché du professeur agrégé Hugues Serge Dohou, cardiologue et chef service cardiologie au Centre Hospitalier Universitaire Départemental Borgou-Alibori (Chud/Ba). A travers un entretien exclusif, le médecin cardiologue éclaire sur cette pathologie cardio-vasculaire majeure. Lisez plutôt.
Edwige MONNOU (Stg)
LGR : Qu’est-ce que l’Hta professeur ?
Professeur Hugues Dohou : L’Hta est une élévation chronique ou permanente de la pression artérielle (Pa) avec un seuil défini selon l’âge. Communément chez l’adulte, on parle d’Hta lorsque les chiffres de la pression artérielle sont au-delà de 140/90 mmHg. 140 mmHg correspond à la pression artérielle systolique, c’est-à-dire quand le cœur se contracte et 90mmHg à la pression artérielle diastolique, lorsque le cœur se relâche. Tout simplement vous pouvez retenir 14/9 cmHg.
LGR : Quelles sont les principales causes de l’Hta ?
Professeur Hugues Dohou : Il faut dire que l’Hta, dans 90 % des cas, est d’origine essentielle. Essentielle pour dire qu’il n’y a pas de cause mais des facteurs qui favorisent sa genèse. D’abord, il y a l’environnement, l’antécédent du patient, l’hérédité du patient, papa et maman sont hypertendus, l’enfant peut hériter de ça.
L’environnement, la première chose à laquelle tout le monde pense c’est le stress. Le stress va favoriser une accélération de la fréquence cardiaque qui peut favoriser une élévation de la pression artérielle. En dehors de ça, il y a les autres facteurs de risque cardio-vasculaires tels que le diabète, l’obésité, le surpoids, la dyslipidémie, le tabagisme, l’alcoolisme. Tous ces facteurs de risque, associés à la malbouffe. Parlant de la malbouffe, je mets un point sur la consommation exagérée du sel, du sucre, et des graisses. Le sujet noir étant connu comme ayant un problème de rétention sodée.
Pour en venir aux causes secondaires, elles sont très fréquentes chez les enfants ; souvent ce sont les maladies rénales ou surrénaliennes. Surrénaliennes beaucoup plus chez les jeunes personnes qui ont des adénomes au niveau des surrénales ou bien qui ont des perturbations au niveau de la thyroïde, l’hyperthyroïdie par exemple ou les maladies rénales qui peuvent être aiguës ou chroniques et qui vont engendrer l’Hta. Mais il faut l’avouer, lorsqu’on détecte tôt ces causes et qu’on les traite, la pression artérielle se normalise.
LGR : Quelles sont les complications de l’Hta ?
Professeur Hugues Dohou : Les complications de l’Hta sont de deux ordres, il s’agit des complications aiguës et des complications chroniques. Pour parler des complications aiguës, une élévation brutale de la pression artérielle peut engendrer une urgence hypertensive qui, par définition, est une élévation brutale de la pression artérielle au-delà de 180/110 mmHg avec un retentissement sur les organes nobles, un retentissement aigu évolutif, évolutif parce que si on n’agit pas très rapidement sur la pression artérielle, ça peut conduire à la mort du sujet. Nous avons également les Accidents Vasculaires Cérébraux (Avc) qui peuvent être hémorragique (rupture des vaisseaux du cerveau) ou ischémique (décollement de plaque qui va boucher rapidement les artères cérébrales), on peut aussi avoir une encéphalopathie hypertensive. Pour parler des retentissements liés au cœur, on peut avoir un œdème aigu pulmonaire (Oap), des crises cardiaques qu’on appelle communément infarctus du myocarde et aujourd’hui le syndrome coronarien, une rupture de l’aorte appelée dissection aortique qui est aussi une complication grave et aiguë. En fonction du niveau de la rupture, on peut avoir une anisotension, c’est-à-dire une absence de tension d’un côté du corps, une paralysie, une insuffisance rénale (Ir) ou une dysfonction érectile. Il peut également s’agir d’une hypertension artérielle maligne pouvant entraîner une cécité brutale ou une baisse brutale de l’acuité visuelle.
Les retentissements chroniques peuvent aussi atteindre le cerveau sous forme d’Avc, les artères cérébrales à l’origine d’Avc ischémique, une insuffisance cardiaque subaiguë, chronique, une hypertrophie ventriculaire gauche, une Ir, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs.
La gravité est qu’il s’agit d’une pathologie silencieuse, donc tout ça peut durer des années sans que vous ne vous en rendiez compte.
LGR : Comment détecte-t-on l’Hta ?
Professeur Hugues Dohou : Je crois que c’est la maladie qui tue le plus mais qu’on peut aussi rapidement diagnostiquer de la manière la plus simple. Il suffit de prendre sa pression artérielle. Le diagnostic est très simple. Tendez votre bras pour qu’on vous prenne la pression artérielle. Bien entendu, cette prise repose sur certains critères. Il faut déjà avoir un tensiomètre qui est validé et, deuxièmement, se prêter au jeu. Il y a des conditions de prise de la pression artérielle sur lesquelles nous insistons. Il ne suffit pas de débarquer pour dire » prenez-moi ma tension « , elle va être élevée. Il faut être au repos au moins 10 à 15 minutes avant la prise de la pression artérielle. Si vous êtes assis, il faudra avoir le dos collé à la chaise ou bien être allongé dans un lit. Il ne faut pas avoir mangé juste avant, il faut prendre la pression artérielle loin de la consommation d’alcool, du café ou de tout autre excitant. Ensuite, le brassard du tensiomètre doit être adapté au bras. Sinon, ça peut aussi fausser les chiffres.
LGR : Quels conseils donnez-vous pour mieux prévenir ou mieux gérer cette maladie au quotidien ?
Professeur Hugues Dohou : C’est d’abord faire un dépistage systématique, que l’on soit hypertendu ou non. Je rappelle que dans chaque famille aujourd’hui, il y a un hypertendu. Sur le plan national, un sujet sur quatre, pour ne pas dire un sujet sur trois aujourd’hui après l’âge de 40 ans, est hypertendu. Vu la gravité de cette affection qui est un tueur silencieux, il faut absolument faire un dépistage. Ce que je recommande souvent, après 30 ans, il faut systématiquement se prêter au jeu. Quand vous avez plus de 40 ans ou vous tendez vers la quarantaine, faites-vous dépister au moins deux fois chaque année, tous les six mois. Donc mon premier message à l’endroit de la population, c’est d’abord le dépistage, et c’est ce à quoi nous nous consacrons chaque année en organisant la semaine du cœur à l’occasion de la Journée mondiale du cœur mais également à l’occasion des Journées de l’Hta.
Lorsqu’on est déjà malade, il faut absolument s’assurer un bon contrôle de la pression artérielle parce que je vous le rappelle, les complications sont énormes et handicapantes. Cela suppose que vous devez prendre votre traitement tous les jours. Ce traitement n’est pas que pharmacologique il est aussi dans le plat puisque l’Hta est à nos plats. Il faut réduire la consommation du sel, du gras et du sucre, de l’alcool, éviter de fumer, pratiquer une activité physique régulière d’au moins 30 à 45 minutes par jour ou au moins 5 jours / 7, consommer des fruits et légumes parce que, très riches en potassium, cela permet de diminuer la pression artérielle. Il est recommandé 5 fruits et légumes par jour.
LGR : Que fait l’État pour remédier à ce mal ?
Professeur Hugues Dohou : L’État aujourd’hui fait beaucoup avec plusieurs interventions. Par exemple, nous avons la politique de santé publique à travers la stratégie Wopen qui vulgarise le 0-0-30-3P qui veut dire zéro alcool, zéro tabac, 30 minutes d’activités sportives chaque jour ou au moins 5 jours sur 7, et éviter la consommation d’excès de sel, de sucre et de graisse. Mais le gros souci des sujets hypertendus, sur lequel on invite encore les stratégies venant de l’État central, c’est concernant les antihypertenseurs. Puisqu’il s’agit d’une maladie chronique dont le traitement est à vie, les patients sont souvent confrontés à cette fatigue et donc à une interruption du traitement médicamenteux, ce qui les expose rapidement à des complications. Donc, s’il y avait vraiment une assurance maladie, je crois que ça aiderait à se procurer facilement les médicaments. Ailleurs, les médicaments sont rendus disponibles et gratuits dans les hôpitaux pour faciliter le traitement, nous n’en sommes pas encore là mais je crois que l’État est en train de militer pour que nous puissions, à défaut d’avoir gratuitement les médicaments, les avoir vraiment à moindre coût pour pouvoir faire face à ce tueur qui mine la santé cardio-vasculaire de nos populations.
LGR : Votre mot de la fin ?
Professeur Hugues Dohou : Nous appelons une fois encore la population à se faire dépister, car cette maladie silencieuse est impliquée dans plus de 80 % des cas d’Avc et de crises cardiaques. Le dépistage précoce reste le moyen le plus sûr pour prévenir les complications graves et préserver une bonne santé cardio-vasculaire.
Interview réalisée et transcrite par : Edwige MONNOU (Stg)