Le 11 avril dernier s’achevait la campagne de prévention de l’onchocercose dans 51 communes du Bénin. Au terme de cette campagne qui s’est déroulée du 31 mars au 11 avril dernier et visant plus de 5 millions de béninois, l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms) dresse un bilan satisfaisant. Alors pour mieux en savoir sur cette pathologie des yeux qui fait partie des Maladies Tropicales Négligées (Mtn), la Rédaction du journal Le Grand Regard s’est rapproché du Professeur Amadou Alfa Bio, médecin ophtalmologiste en service au Centre Hospitalier Universitaire Départemental du Borgou-Alibori (Chud/BA) et Maître de Conférence Agrégé en ophtalmologie à l’Université de Parakou. Voici l’intégralité de l’interview accordée par le spécialiste en ophtalmologie à notre rédaction. Lisez-plutôt.
Edwige MONNOU (Stg)
LGR : C’est quoi l’onchocercose, professeur Amadou Alfa Bio ?
Professeur Amadou Alfa Bio : L’onchocercose est une maladie parasitaire due à une filaire, Onchocerca volvulus, transmise d’homme à homme par une petite mouche noire, la simulie.
LGR : Quel est le mode de transmission de cette maladie ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Cette maladie est transmise par une mouche appelée mouche tsé-tsé. Cette mouche vit aux abords des rivières et va piquer les populations qui vivent au niveau de ces rivières. Cette mouche peut piquer, c’est-à-dire sucer le sang du matin au réveil jusqu’à la soirée. Donc si on laisse des parties découvertes ou bien nues ou bien les bras découverts, les jambes découvertes, cette mouche peut trouver une occasion pour sucer et transmettre.
LGR : Quels sont les symptômes de cette maladie ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Moi, je suis ophtalmologiste, je vais particulièrement me concentrer sur ce qui concerne l’œil, mais d’une manière générale, les manifestations sont au niveau de la peau. Il y a des grattages au niveau de la peau qui peuvent devenir très invalidants et qui sont à l’origine quand même d’une déformation de la peau comme une peau de lézard. Et particulièrement, vous allez observer les symptômes, c’est-à-dire qu’ils sont extra-oculaires, où on doit observer des nodules au niveau des parties du corps dont l’os est directement en contact avec la peau, et on a souvent des nodules à ce niveau, et aussi au niveau de notre pied, la partie en avant de notre pied, au niveau de la jambe dont la peau est accolée à l’os, on a souvent des pertes de la couleur de la peau, qui en réalité sont dues à des grattages.
Mais particulièrement au niveau de l’œil, nous avons beaucoup de manifestations qui concernent la partie transparente de l’œil, qui est la cornée. Au niveau de la cornée, puisque le ver peut mourir, lorsque le ver meurt, il engendre un effet inflammatoire qui va au niveau de la partie périphérique de notre cornée, qui prend un aspect blanchâtre au début. Mais puisque les manifestations de l’œil apparaissent 10 à 15 ans après l’infestation, on peut de façon progressive aussi observer, au niveau de la partie inférieure de l’œil, un changement de couleur comme le blanc de l’œil, et qui peut conduire à une baisse totale de la vision ou une perte de la vision. En dehors de cette manifestation, l’intérieur de l’œil peut être atteint, particulièrement au niveau de la partie qui vascularise, dans la partie dans laquelle circule le sang, peut être l’objet d’une inflammation. C’est cette partie-là que nous appelons l’uvée, et elle peut donner des séquelles de l’inflammation qui vont conduire à la perte de la vision. En dehors de cela, à l’intérieur même de l’œil, on a une fine pellicule que nous appelons la rétine. Cette rétine peut être atteinte par l’infestation et être à l’origine également de la perte de la vue. Il y a également un tissu qui est en contact avec le cerveau, que nous appelons le nerf optique, qui peut être également atteint par l’inflammation à travers une névrite du nerf optique. Toutes ces manifestations peuvent survenir de façon soit séparée, soit de façon progressive, soit c’est la cornée au début, après la partie vascularisée, l’uvée, et ensuite la rétine. Quand toutes ces parties sont atteintes, la personne perd définitivement la vision.
LGR : Quelle est la situation actuelle de la maladie au Bénin, et particulièrement dans le département du Borgou ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Au Bénin, nous avons 51 communes qui sont endémiques à l’onchocercose, et dans les 51 communes, nous avons le Borgou, et toutes les communes du Borgou sont endémiques à l’onchocercose. Si on veut parler de département, il y a un seul département qui est épargné, c’est le département du Littoral.
LGR : Que fait l’État pour remédier à ce mal ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Il y a plusieurs programmes. L’État, depuis l’avènement d’un vaste programme de lutte contre l’onchocercose, qui est soutenu par l’Organisation Mondiale de la Santé, le met en œuvre à travers les programmes de lutte contre les maladies transmissibles, avec des programmes spécifiques à l’onchocercose pour la prise en charge. La prise en charge est essentiellement au niveau communautaire, c’est-à-dire qu’elle est préventive. Il y a les traitements de masse au niveau du ministère de la Santé, qui sont programmés au sein de la population, et ces traitements sont effectués, toute la commune est traitée à l’aide d’un médicament qui, aujourd’hui, paraît être efficace contre l’onchocercose, c’est l’Ivermectine. Donc, on fait un traitement de masse à l’Ivermectine.
LGR : Quelles sont les précautions à prendre par la population ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Les précautions, c’est de quitter les rives alors que ce sont les parties, les endroits fertiles des communes où les populations bénéficient de l’eau, la population bénéficie également de terres fertiles, ainsi de suite, et également des activités de pêche et autres. Mais de toutes les façons, c’est le traitement de ces sites. Avant, ça se faisait avec l’hélicoptère où l’on pulvérisait ces zones, mais aujourd’hui ce programme n’a pas continué. Mais c’est surtout la chimioprophylaxie avec l’Ivermectine qui se fait au sein de ces populations. Maintenant, la prévention, c’est que c’est une mouche qui pique durant toute la journée, c’est-à-dire du réveil, du matin, si tu te trouves dehors, cette mouche est capable de continuer à piquer jusqu’au coucher du soleil. Donc, dire que c’est difficile pour un sujet de rester dans la chambre toute la journée, il y a des activités que les gens vont faire, surtout ceux qui sont cultivateurs. Pour le moment c’est la chimioprophylaxie qui paraît la plus efficace. Ces mouches vivent là où il y a des chutes d’eau qui sont rapides. Cette population doit savoir d’abord que beaucoup sont devenus aveugles, avec les yeux dont la couleur change ; c’est dû à des réactions de l’œil suite aux vers Onchocerca volvulus qui sont morts aux alentours de l’œil, ce qui donne cette opacité au niveau de l’œil. Et lorsqu’il y a ça dans un village, il faut savoir que cela est dû à l’onchocercose.
En dehors de ça, cette population, souvent au niveau des jambes, surtout la partie en face antérieure, change de couleur avec un aspect de couleur qui est clair, avec des couleurs plus noires. Donc, c’est dû également à l’onchocercose, ce sont les signes indirects qu’on voit. De ce fait, la population ne doit pas rester nue lors des travaux champêtres, puisqu’ils peuvent se faire piquer par ces mouches, et également essayer de porter des pantalons et des habits à manches longues pour diminuer le contact avec ces mouches hématophages.
LGR : Que conseillez-vous à ceux qui souffrent de cette maladie ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Ceux qui souffrent de cette maladie, particulièrement au niveau des yeux, doivent d’abord se rapprocher des centres de santé, surtout lorsqu’ils ressentent des démangeaisons au niveau des yeux, associées à des démangeaisons sur le reste du corps. Une fois au centre de santé, ils doivent être référés vers un centre ophtalmologique spécialisé, afin d’établir un diagnostic précis et d’assurer une prise en charge adaptée. Lorsque la personne est atteinte de la maladie, en plus de la prise en charge générale par l’Ivermectine, un traitement local peut être nécessaire. Mais si la personne a déjà perdu la vision, cette cécité est malheureusement irréversible. C’est pourquoi l’on dit que c’est une maladie évitable. Elle peut être prévenue efficacement par la chimioprophylaxie. Une fois la cécité installée, on ne peut que proposer un traitement symptomatique.
LGR : Votre mot de la fin ?
Professeur Amadou Alfa Bio : Mon mot de fin, on remercie d’abord le programme du ministère de la Santé qui continue quand même à faire la Chimioprophylaxie de masse au niveau de la communauté béninoise dans les communes endémiques à l’onchocercose et également, il faut que la population accepte ces traitements et qui doivent leur prévenir d’une cécité incurable parce que lorsqu’on est aveugle de l’onchocercose, on ne sera pas guéri donc c’est d’accepter le traitement qui est administré à toute la communauté et par le programme national de lutte contre les maladies transmissibles. Et également les autorités à tous les niveaux de ces communes doivent contribuer à travers les points focaux à sensibiliser la population sur le port des vêtements mais qui vont diminuer quand même le contact avec ces mouches, manches longues et aussi pantalon, au lieu de laisser les pieds être exposés ou bien des endroits du corps est exposés à la piqûre de ces mouches qui peut être dangereux pour leur santé.
Propos recueillis et transcrits par : Edwige MONNOU (Stg)