Dans un contexte où le numérique connaît une avancée remarquable de jour en jour, la question relative à l’avenir du livre devient aussi préoccupante. À l’image de certains secteurs d’activités fortement influencés par l’Intelligence Artificielle (Ia), le secteur des livres n’est pas excepté. Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, le jeune écrivain Ayélodjou Jérémia Babalao, auteur des livres «Fœtus…Cul Rouge» (Éd. du Printemps, Cotonou, 2022), « Au Carrefour de nos Routes » (Éd. du Printemps, Cotonou, 2023), 40 Ans de Réclusion Criminelle » (Éd. Recréation, Abomey-Calavi, 2025), et enseignant de français (professeur adjoint) dans le département des Collines, aborde avec beaucoup d’attention la question. Lisez l’intégralité de l’interview.
LGR : De l’écriture à la vente des livres, quelle analyse faites-vous si l’on remonte à un passé où le numérique n’avait pas atteint son âge d’or ?
Jérémia : Lorsque nous remontons dans le passé où le numérique n’avait pas conquis le monde, nous nous rendons compte que l’univers du livre était enviable. D’abord, de l’écriture, on sent qu’il y avait une certaine originalité ; et ce n’est pas un fait de hasard. Les auteurs étaient bien cultivés, ils lisaient de grands auteurs qui ont fait d’eux aussi de grands auteurs. De plus, les maisons d’édition qui les produisaient étaient des professionnels, des gens pétris d’expérience en la matière. Certes, la sortie des ouvrages, de l’envoi du manuscrit par les auteurs à la fabrication, prenait du temps ; mais c’était justement pour une bonne finition. Quant à la vente, vous convenez avec moi qu’un bon livre fait lui-même sa promotion. Ces livres sont vendus. C’est vrai que je ne peux pas faire une estimation mais, vous savez que jusqu’à un passé récent, le roman « Une si longue lettre » de la sénégalaise Mariama Bâ était au programme en classe de terminale. Aujourd’hui, nous avons « Le lion et la perle » du nigérian Wolé Soyinka toujours au programme en classe de première. Cela témoigne de l’originalité, de la qualité de ces ouvrages, parmi tant d’autres. Et vous imaginez le nombre d’apprenants ou de parents d’élèves qui vont vers les librairies pour acheter ces ouvrages chaque année.
Malheureusement aujourd’hui, avec l’allure du numérique, nous avons des maisons d’édition fictives, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de siège. Elles fonctionnent en ligne. Cela seul fait déjà douter de la qualité de ce qu’ils sortent. Autre chose, tout le monde s’autoproclame éditeur avec le phénomène d’auto édition ; et par finir, sortent des ouvrages avec plein de coquilles. Aussi, voudrais-je ajouter, avec l’avènement des réseaux sociaux, les ouvrages se vendent de moins en moins dans notre sous-région. Les jeunes passent plus de temps à se distraire sur les réseaux sociaux au lieu des livres. C’est bien dommage. Et enfin, l’intelligence artificielle qui vient semer de la confusion dans l’originalité des productions des écrivains.
Cependant, il faut reconnaître qu’avec le numérique aujourd’hui, l’édition d’un livre ne prend plus assez de temps, car on peut être au Bénin et envoyer son tapuscrit à un éditeur en France, au Canada, en Belgique, etc.
LGR : Quel est l’impact du progrès du numérique sur les livres alors ?
Jérémia : Parlant d’impact du progrès du numérique, comme j’ai commencé à l’aborder, il y a la rapidité dans les travaux d’édition des livres. Reconnaître qu’on peut utiliser le numérique pour faire la promotion de ses ouvrages est aussi un atout. À tout ceci, aujourd’hui, les ouvrages en version imprimée disparaissent au profit du numérique. On peut être chez soi à la maison et avoir un ouvrage dont on a besoin, soit en l’achetant sur des sites aujourd’hui dédiés à ça, soit en le téléchargeant gratuitement en ligne sur internet pour l’exploiter.
LGR : Quels défis s’imposent aux écrivains à cette ère du numérique ?
Jérémia : Comme défis, les écrivains sont appelés à plus de professionnalisme dans la qualité de ce qu’ils sortent. Ils doivent marquer la différence entre le naturel et l’artificiel, tout ceci en gardant une certaine originalité.
LGR : Votre mot de fin ?
Jérémia : Je tiens à vous remercier pour l’honneur qui m’est accordé pour parler de l’univers du livre. Et je voudrais prier tous les acteurs du livre à plus de rigueur pour sortir des livres de qualité à portée esthétique. Pour finir, j’appelle les personnalités compétentes en matière de propositions des ouvrages au programme dans nos lycées et collèges à tenir compte des réalités de notre époque pour l’introduction de certains ouvrages au programme dans les classes.
Interview réalisée et transcrite par Émile SINGBO