Il est une évidence pour tous que s’il y a un mérite à décerner à nos ancêtres africains, c’est celui d’avoir réussi à trouver des mécanismes propres à leurs temps pour instaurer et maintenir l’ordre public. Ainsi, selon chaque peuple, il y avait des moyens pour faire respecter le contrat social bien qu’il n’existât point de police ni gendarmerie à l’époque. Des mécanismes de gestion des conflits inhérents à toute vie en société étaient conçus et mis en œuvre avec une justice plus équitable. Nos ancêtres ont eu le génie de sacraliser ces mécanismes en vue de leur pérennité et pour optimiser leur fonctionnement.
Mais, dans un monde en pleine mutation au gré de la technologie qui transforme tout à la vitesse de la lumière, les valeurs culturelles et cultuelles africaines sont éprouvées. Bon nombre de ces mécanismes ancestraux de régulation de la vie en communauté sont menacés de disparaître ou de ne rester que de simples reliques culturels puisqu’étant dépourvus de jour en jour de l’essence de leur sacralité. Au Bénin, le secret que cachent les divinités masquées et autres n’est pas loin de celui de polichinelle, s’il ne l’est pas encore par endroit puisque des scènes de désacralisation par des adeptes eux-mêmes sont de plus en plus monnaie courante malgré la volonté des conservateurs qui font tout pour préserver l’essentiel.
Cette désacralisation prend davantage d’ampleur avec la forte urbanisation qui donne lieu à des villes plus modernes rendant la conservation du secret plus difficile. Comment perpétuer le culte de Zangbéto, c’est-à-dire, la divinité reconnue comme gardien de nuit, dans les villes modernes bien éclairées où le jour comme la nuit sont bien animés par des activités génératrices de revenu ? Peut-on encore conserver le secret dans des couvents d’Egoun-goun (revenants) ou de Zangbéto encerclés par des immeubles à plusieurs étages et munis de dispositif de vidéo surveillance ?
Aujourd’hui, même le culte Oro dont les manifestations donnaient lieu à la cessation de toutes les activités dans les localités où il est pratiqué, est désormais hypothéqué. D’ailleurs, les adeptes et les dignitaires sont obligés de trouver des arrangements avec les autorités politico administratives pour définir le cadre de leurs manifestations qui pour la plupart se déroulent dans les couvents loin des agglomérations. Là encore, le secret est menacé par les drones qui interviennent dans plusieurs activités. Au nom des droits de l’homme, les adeptes et dignitaires n’ont plus la possibilité de traiter les profanes comme ils le veulent. Dans nos prisons, ils sont nombreux ces adeptes et dignitaires incarcérés pour avoir commis des exactions sur des hommes et des femmes qui auraient violé des interdits de ces cultes.
Il est de notoriété de constater que même dans les villages où profitant de l’ignorance des uns et des autres, ces divinités dictaient leur loi à tous, l’ampleur baisse drastiquement. Les nuits dans ces villages du sud du Bénin deviennent de plus en plus tranquilles qu’il y a de cela quelques décennies en arrière puisque les jeunes gens qui servent d’adeptes à ces divinités pour leur manifestation se voient occupés en journée par des activités qui les épuisent énormément. Dans certains milieux où ces cultes sont encore conservés, leurs manifestations sont circonscrites à des quartiers peuplés d’autochtones avec des limites strictes. A la vue des véhicules de la police en patrouille nocturne, adeptes et divinité sont obligés de prendre la tangente pour ne pas se faire voir par des yeux profanes. Ce n’est plus l’époque où tout le monde vivait de la chasse, de la pêche et des travaux champêtres !
A cette allure, réinventer ces cultes est un défi pour leur conservation afin que la mémoire ne se perde. Ainsi, puisque ne pouvant plus jouer pleinement leurs rôles traditionnels de sécurité publique et de tribunal, ces divinités resteront plus tard des objets de spectacles publics avec des moments de démonstrations mystiques en vue d’émerveiller les touristes sans être pour autant sacrées.
Edouard ADODE












